. La fin du Scharnhorst

Dans son journal de bord, début 1944, Paul Kersaudy écrivait en introduction : « Voici les détails donnés par l’amirauté britannique sur la fin du Scharnhorst. »

Suivait, collée en marge de la page, une découpe de « La Gazette du Richelieu » en date du 1er janvier 1944, reprenant dans son intégralité les détails de l’opération.

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Extrait de « La gazette su Richelieu » n°39 – 1er janvier 1944

Afin de couvrir un convoi de Russie, les forces britanniques participant à l’opération étaient reparties en deux groupes principaux.
Le premier groupe sous le commandement personnel de l’amiral Sir Bruce Fraser, Commandant en chef de la Home Fleet, comprenait le cuirassé « Duke of York » qui porte son pavillon, le croiseur « Jamaica » 8000 T, 12 pièces de 152 en 4 tourelles triples et 4 contre-torpilleurs.
Le deuxième groupe comprenait les croiseurs Belfast et Sheffield (10000 tonnes, 12 pièces de 152 en tourelles triples) et le Norfolk (10000 tonnes, 8 pièces de 203 analogues à notre Colbert). Ce groupe était sous le commandement du Vice Amiral Burnett, sur le Belfast.
Le premier groupe assurait la couverture à distance du convoi contre les attaques possibles des bâtiments ennemis basés dans les fjords de la Norvège septentrionale.
Le deuxième groupe escortait le convoi et se trouvait dans le Sud Est de l’île aux Ours, quand, dans le crépuscule polaire, il prit le contact d’un ennemi qui faisait route à 28 nœuds en direction du convoi.
Celui-ci fut immédiatement dérouté vers le nord et les croiseurs ouvrir le feu, le Norflolk mettant un coup au but. L’ennemi, manifestement un « gros » (c’était le Scharnhorst : 26000 tonnes, 3 tourelles triples de 380) se détourna du convoi et s’échappa à toute vitesse vers le N.E dans une tentative de débarrasser des croiseurs pour pouvoir détruire le convoi à son ,,,,??? (mot illisible)
Quelques heures plus tard, le Scharnhorst essaya de s’attaquer à nouveau au convoi; mais les croiseurs étaient encore là, et engagèrent l’assaillant au canon, le Norfolk encaissant à son tour un coup à l’arrière.
Mais soudain l’ennemi rompit le combat et se dirigea à toute vitesse vers le Sud-Est pour gagner l’abri de son repaire d’Alten Fjord sur la côte Norvégienne. Les croiseurs et contre-torpilleurs suivirent le Scharnhorst et tinrent son contact pendant toute l’après-midi, tout en renseignant le « Duke of York » qui accourait du Sud-Ouest pour intercepter l’ennemi.
Entre temps l’obscurité la plus totale s’était établie, le Scharnhorst fonçant toujours vers le sud à vitesse maximum, lorsque vers 16h15, le « Duke of York » le prit au contact, juste sur son avant.
Abattant aussitôt vers le Sud’Est pour rendre toute son artillerie battante, le « Duke of York » ouvrit le feu et bientôt mit au but sur le Scharnhorst.
Cherchant à s’échapper, à l’étreinte des forces qui convergeaient sur lui, le Scharnhorst mit cap vers le Nord, puis quelques minutes après, à l’Est.
Et la chasse commença, le « Duke of York », ses croiseurs et contre-torpilleurs lancés dans la nuit noire, aux trousses de l’ennemi qui s’éloignait de plus en plus des gros canons du bâtiment de l’Amiral, grâce à sa vitesse supérieure.
C’est alors que le contre-torpilleurs Savage (Commander M.D.C Meyrick), Saumarey, Scorpion et le Norvégien Stord, qui avait gagné à toute vitesse une position favorable de lancement, sur l’avant de l’ennemi, déclenchèrent pratiquement sans aucun soutien, une attaque à la torpille.
Le Scharnhorst, trois fois atteint, fut obligé de ralentir, et se trouva bientôt à porté du «Duke of York ».
Les projectiles de gros calibres du cuirassé britannique lui réglèrent rapidement son sort et bientôt il n’était plus qu’une épave stoppée et en feu.
Le coup de grâce lui fut donnée par les torpilles du Jamaica et le Scharnhorst disparut dans les flots à 19h45, à 60 milles du Cap Nord.
Quelques survivants furent recueillis et faits prisonniers. Le convoi qui n’avait subi ni dommage ni perte, continua sa route sans incident.
Sa Majesté le Roi, ainsi que Mr Churchill adressèrent leurs félicitations à l’amiral Sir Bruce Fraser et à la Home Fleet pour cette belle victoire.

Remarquons, pour finir, que le Tirpitz, basé lui aussi sur Alten Fjord n’a pas paru sur la scène de l’action, ce qui semble indiquer qu’il n’a pas encore réparé les avaries que lui a causées l’attaque des sous-marins britanniques au début d’octobre 1943.

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Duc d’Albe

Peu de jeunes générations de Brestois ne se posent la question de ce que représentent ces deux structures de bétons, abandonnées en rade de Brest au pied de la pointe d’Armorique et qui restent visibles du belvédère de Kerdéniel, en presqu’île de Plougastel.
Il s’agit de coffres d’amarrage … où séjourna un temps le Scharnhorst et le Gneisenau entre autres, cuirassés allemands rivaux guerriers du Richelieu durant la seconde guerre mondiale.
Avec ce nouvel article,  se trouve probablement relatée  la raison pour laquelle l’auteur de ce cahier, marin qui quitta Brest en   1940 pour l’Angleterre,  s’intéressa tant au sort de ces illustres unités de la marine allemande qui au côté du Bismarkc ou du Tirpitz ont tant abreuvés les littératures maritimes du milieu du XXème siècle.

 

——— Translation ———-
In his diary, at the beginning of 1944, Paul Kersaudy wrote in his introduction: « Here are the details given by the British Admiralty about the end of the Scharnhorst. « 

Next, pasted in the margin of the page, a cutout of the Gazette du Richelieu dated January 1st, 1944, relating in its entirety the details of the operation.

For covering a convoy of Russia, the British forces participating in the operation were divided into two main groups.
The first group under the personal command of Admiral Sir Bruce Fraser, Cheif Commander of the Home Fleet, included the battleship « Duke of York » which bears its flag, the cruiser « Jamaica » 8000 T, 12 pieces of 152 in 4 Triple turrets and 4 destroyers.
The second group included the Belfast and the Sheffield cruisers (10,000 tons, 12 pieces of 152 triple turrets) and Norfolk (10,000 tons, 8 pieces of 203 similar to our Colbert). This group was under the command of Vice Admiral Burnett, on the Belfast.
The first group provided remote coverage of the convoy against possible attacks by enemy vessels based in the fjords of northern Norway.
The second group escorted the convoy and was in the south-east of Bear Island when, in the polar twilight, he made contact with an enemy who was traveling at 28 knots towards the convoy.
This group was immediately diverted to the north and the cruisers opened fire, the Norflolk putting a blow to the goal. The enemy, evidently a « big » (the Scharnhorst: 26,000 tons, three triple turrets of 380) turned away from the convoy and escaped at full speed towards the NE in an attempt to rid the cruisers in order to destroy the Convoy to his  xxx,?? (unreadable)
A few hours later the Scharnhorst tried to attack the convoy again; But the cruisers were still there, and engaged the assailant with the cannon, the Norfolk in turn taking a shot in the rear.
But suddenly the enemy broke up the fight and headed for Sweden to get shelter from his den of Alten Fjord on the Norwegian coast. The cruisers and destroyers followed the Scharnhorst and held contact throughout In the afternoon, while informing the « Duke of York » who was rushing from the South-East to intercept the enemy.
In the meantime, the darkness was more and more established, the Scharnhorst still running south at maximum speed, when around 16:15, the Duke of York took him to the contact, just on its front.
The Duke of York, immediately shooting down to the south-east to restore all his artillery, opened fire and soon succeed to goal the Scharnhorst.
Seeking to escape, to the embrace of the forces that converged on him, the « Scharnhorst » set course towards the North, then a few minutes later, to the East.
And the hunt began, the « Duke of York », its cruisers and destroyers launched in the dark night, at the enemy’s heels, which was moving away from the big guns of the Admiral’s building, thanks to Its top speed.
It was then that Savage (Commander MDC Meyrick), Saumarey, Scorpion and Norwegian Stord, who had quickly gained a favorable launch position on the front of the enemy, started practically without any support , A torpedo attack.
The Scharnhorst, who had once been attacked, was obliged to slow down, and soon found himself carried from the Duke of York.
The large caliber projectiles of the British battleship quickly regulated its fate and soon it was no more than a wreck stopped and on fire.
The coup de grace was given to him by the torpedoes of the Jamaica and the Scharnhorst disappeared in the waves at 19:45, 60 miles from the North Cape.
Some survivors were gathered and taken prisoner. The convoy, which had suffered neither damage nor loss, continued its trip without incident.
His Majesty the King and Mr. Churchill congratulated Admiral Sir Bruce Fraser and Home Fleet for this great victory.

Let us note, finally, that the Tirpitz, based also on Alten Fjord did not appear on the scene of the action, which seems to indicate that it has not yet repaired the damage caused to him by the attack British submarines at the beginning of October 1943.

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. Epilogue de l’été 42

De cette période de guerre, 1943 à 1946 – période où la marine se trouvait enfin réunie – il manquait un chaînon important de la carrière de marin de mon père pour comprendre l’ambiance générale des années 1939-1942, particulièrement obscures, alors que le commandement de la marine était divisé en deux camps opposés, confrontés aux enjeux stratégiques des dirigeants politiques. Les simples marins et officiers mariniers se trouvaient tiraillés, entre la soumission à leurs doctrines, dont “Honneur” et “Discipline” et le devoir d’obéissance à leurs commandements.

Mon propos, ici, n’est pas d’ouvrir une discussion d’historien, encore moins une polémique, mais simplement de décrire, à travers la chronologie de ses affectations, les sentiments de désarroi dont il me fit souvent part. Ceux-ci influencèrent, sans aucun doute et pour le restant de sa vie, son attitude critique, vis-à-vis de la politique et des grands de ce monde, car la fidélité en amitiés et le respect de la parole donnée furent probablement les deux éléments constituant sa personnalité profonde. Je souhaitais les saluer ici dans cette partie de document, en forme d’épilogue.

En réalisant ce document, initialement bâtit sur une simple recherche remontant à ma curiosité d’enfant, je venais en réalité de faire une vraie analyse sur son histoire et peut-être aussi une partie de la mienne, car mes lectures et recherches documentaires m’ont souvent conduit sur des chemins parfois éloignés du sujet, la recherche du «Cahier». J’aurais l’occasion d’en reparler.

En 1939, la France entrait en guerre et, lorsque les Allemands étaient aux portes de Brest, le 19 juin 1940, les bateaux de la marine nationale, stationnés à Brest, avaient eu pour consigne de quitter les ports de l’atlantique, pour se réfugier, soit en Angleterre, soit dans les ports d’Afrique sous protection française, soit encore à Toulon située en zone dite libre suite aux accords d’armistice qui furent signés par le gouvernement de Pétain et les puissances de l’Axe (Allemagne-Italie-Japon).

Mon père quitta donc l’Armorique – un bâtiment datant de la guerre 1914-1918, transformé en école des Mousses – pour embarquer sur la Jeanne et Geneviève avec laquelle il rejoindra le port de Plymouth en Angleterre alors que le Richelieu, sur lequel il embarquera quelques mois plus tard, prenait la direction de Dakar.

Le 3 juillet 1940, à 6h du matin, sur décision du gouvernement Churchill, une opération « surprise », répondant au nom de code évocateur « Catapult », était déclenchée. Au cours de cette opération militaire, la marine anglaise débarquait de leur sommeil, sans ménagement et sous menace armée, tous les marins et officiers français présents à bord des unités navales stationnées dans les ports anglais.

Poussé jusqu’au quai, une baïonnette anglaise pointée dans le dos, mon père comme des centaines d’autres marins, quittèrent leur bord, sans même pouvoir prendre quelques vêtements de rechanges. Cette capture sournoise allait laisser des traces amères dans les esprits des marins français, d’autant qu’au même moment, la marine anglaise, amie de la veille, attaquait avec la même «brutalité courtoise » la flotte stationnée à Mer-El-Kébir, en faisant près de 1300 morts.
Retenu prisonnier, dans des conditions que j’explicitais en introduction de ce document, mon père sera interné au camp de Aintree, un hippodrome transformé en « terrain de camping »,  il y resta, dans la boue, jusqu’à mi-décembre 1940. Si les événements relatifs à Mers-El-Kébir ont été bien documentés dans les livres par des historiens renommés, peu d’informations objectives, précises et détaillées ont été publiées sur le fonctionnement de ces camps de rétention et les conditions de vie des marins retenus. A la suite de ces longues semaines de détention, durant lesquelles les marins subissaient des pressions psychologiques pas toujours avouables, il sera par la suite dirigé vers Toulon où il arriva le 19 décembre 1940, puis successivement affecté au CF dépôt d’Alger, au CFI de Bizerte en Tunisie, et enfin affecté sur le Richelieu quelque mois plus tard, le 1er octobre 1942, date à laquelle il entreprit la rédaction du « Cahier ».

Probablement qu’avant cette date, la situation politique était si complexe que cela le privait de toute objectivité pour la rédaction d’un livre de bord. La censure militaire et politique du moment le rendait également prudent quant à l’expression écrite de ses propres sentiments. D’autant plus que les années 1941-42 devaient être, une fois encore, des années pénibles à endurer.

Après l’attaque surprise de Mers-El Kébir, du 3 juillet 1940, un drame personnel venait l’endeuiller avec la disparition de son beau-frère, sous-marinier à bord du Sous-marin Souffleur, torpillé par un sous-marin anglais, Parthian, au large de Beyrouth. C’était le 25 juin 1941. Ce nouvel évènement, dont il me fera part lorsque j’étais enfant, se rajouta à la longue liste des enquêtes personnelles que je mènerai plus tard, pour satisfaire une curiosité bienveillante, car comme pour le « Cahier », je n’avais toujours que quelques bribes de l’histoire et, au fil du temps, de moins en moins de témoins en capacité de m’informer.

Puis, le 27 novembre 1942, ce sera un nouveau drame national avec le sabordage de la flotte, stationnée à Toulon, douloureuse décision prise par les marins pour de ne pas laisser leurs unités navales entre les mains allemandes dont les troupes venaient de franchir les lignes de démarcations pour envahir le reste du territoire resté « libre ». J’ai publié quelques photos, trouvées dans ses archives personnelles, elles figurent également en annexe de ce document. Tous ces éléments furent pour moi autant de clés pour tenter de comprendre sa profonde amertume envers la perfide Albion. « La Royale a gardé des codes d’honneur qui font souvent défaut aux politiques », me disait-il (La Royale : Ainsi s’expriment encore souvent les vieux marins bretons pour parler de leur marine nationale – à ne pas confondre avec la blonde Madelon).

Pour terminer avec une note plus positive, je reviendrai sur la période américaine, durant laquelle le Richelieu était en réparation à Brooklyn. Ce fut probablement la période la plus agréable de sa vie militaire et peut-être celle qui fut la plus déterminante dans son désir d’écriture.

Durant les longues semaines passées à New-York il recevra le soutien d’une famille américaine, avec laquelle il entretiendra, sa vie durant, de longues et fréquentes correspondances. Cette amitié devait s’installer durablement dans la famille puisque, à mon tour, lors de mes années de collèges et de lycée, la langue Shakespearienne s’invita dans nos correspondances familiales.
La Gazette du Richelieu, dont la signalétique graphique représentait un pont entre Brest et New-York, ne pouvait donc trouver de meilleur illustration pour cette amitié et, en 1963, à la faveur d’un long voyage, les amis américains vinrent nous rendre visite. Arrivés par bateau à Athènes, c’est au volant d’une Fiat 500 qu’ils traversèrent l’Europe pour venir jusqu’à la pointe du Raz visiter leurs amis bretons. Un évènement dans la famille et une anecdote au passage, qui illustre une fois encore les absurdités des décisions politiques. Lorsque nous voulûmes visiter le Château de Brest, l’entrée leur fut refusée au simple motif qu’ils étaient américains, alors même que les citoyens allemands étaient les bienvenus. Je me souviens très bien de ce moment qui, une fois encore, fut prétexte à quelques débordements politico-philosophiques.

Mes incursions d’adolescent dans les conversations des grands devaient probablement éveiller en moi les prémices d’activités d’enquêteur. Un pourquoi ne devant jamais rester sans réponse. Si nos amis Américains repartiront vers l’Amérique sans pouvoir visiter le château de Brest, que leurs compatriotes avaient pourtant aidé à libérer en 1944, je gagnerai au change, car ils me faisaient la promesse que les portes de leur maison me seraient toujours ouvertes. Mais ceci est une autre histoire.

Pour paraphraser mon père lorsqu’il écrivait en introduction de son « Cahier »: “En écrivant ces lignes, je n’ai nullement l’intention de publier un roman”,  je dirais simplement qu’à travers ces quelques pages, je n’avais, pas plus que lui, l’intention d’écrire un roman, simplement transmettre quelques expériences originales d’écritures et pourquoi pas, donner à d’autres l’envie de prendre le relais, un blog, c’est un peu comme avec un “Cahier”, l’histoire n’est jamais tout à fait terminée.

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. Sabordage de la flotte à Toulon 1942

(Diffusion de nouvelles archives du S/M Kersaudy)

Un mois après son embarquement sur le Richelieu, à Dakar, une nouvelle tragédie maritime allait affecter la marine française.

Suite à l’opération Attila, le 11 novembre 1942, les troupes allemandes franchissent la ligne de démarcation.
Le 19 novembre 1942, Hitler ordonne à ses troupes de se préparer à prendre possession des arsenaux de Toulon, c’est la deuxième partie du plan d’occupation, l’opération Anton. En réaction à cette nouvelle agression et pour ne pas tomber dans les mains ennemies, la flotte de Toulon se saborde le 27 novembre 1942, amputant la marine française de 75 unités.

Quelques archives photographiques personnelles rapportées de campagne.

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